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Ziguehi, l’histoire du premier mouvement urbain ivoirien.

Au début des années 70, la Côte d’Ivoire moderne vit une période de croissance économique sans précédent. Le café et le cacao, cultures dans lesquelles le pays occupe les premiers rangs mondiaux, s’achètent à prix d’or. Et grâce à cette manne financière, Abidjan, la capitale économique du pays prend les allures des grandes villes occidentales. Les gratte-ciels poussent, les quartiers résidentiels émergent, les restaurants huppés, et les grands hôtels prolifèrent tandis que les premiers cinémas voient le jour et avec eux, les productions cinématographiques d’Hollywood.

 Il fait bon vivre à Abidjan. C’est la période du plein emploi. Les entreprises embauchent à tour de bras. Et comme c’est le cas partout ailleurs, lorsque l’économie est florissante, les candidats à la fortune affluent. Ils viennent des zones rurales mais également des pays voisins. Ainsi, aux abords des cinémas de quartier, les jeunes de toutes conditions sociales et de tous les horizons se rencontrent. Les films karaté et les westerns sont alors en vogue. Les stars sont Bruce Lee, Chuck Norris, Gary Cooper, John Wayne et tutti quanti. Les jeunes de l’époque s’identifient à ses vedettes. Ils y prennent les mimiques, les tics, [emaillocker] la dégaine, le look, et reproduisent dans les rues, les combats vus sur grand écran. La mode est alors aux sports de combat. Les dojos, gymnases et académies sportives s’ouvrent partout. Dans les quartiers, les jeunes gens passent leurs temps libres à soulever de la fonte ou des haltères pour se muscler. Et par le truchement de la télévision et la radio, les influences musicales occidentales prennent aussi leurs quartiers à Abidjan. Le smurf, le disco, le Jazz et le Rythme and Blues font fureur.  En Côte d’Ivoire, ces tendances musicales occidentales engendrerons le Gnanmagnan, première danse urbaine ivoirienne qui sera portée par le chanteur Kéké Kassiry.

 Pour communiquer entre eux, tous ces jeunes venus d’horizons différents inventent le Nouchi. L’argot local, mélange savoureux du français et des langues vernaculaires.

 Le mouvement Ziguehi est né. Chaque quartier à ses danseurs et ses ziguehis, c’est-à-dire, des jeunes baraqués, qui pratiquent les arts martiaux. Régulièrement, des bagarres éclatent aux abords des nightclubs et des cinémas. La renommée et le succès auprès des filles se gagnent par l’habilité aux bagarres en singulier ou en bande. Battre le caïd d’un quartier c’est s’assurer le respect, la notoriété et les égards.

Aké Raymond, Cornélius, Blockus, Bobby Solo, Abou Brikiba, Atchao, Serge Dailly, Grand Vegas, John pololo, Jules Arthur Bado, Bony RAS, Charly Watta etc sont des noms qui suscitent craintes, angoisses et admiration.  Il y’a aussi les bandes telles que Mapless, Youpless, Farem, Yang Systèm, Ninja Gorgé, Gestapo et bien d’autres. 

Avec le temps, le mouvement Ziguehi qui n’était que simple expression de la jeunesse branchée vire lentement au gangstérisme. Les bagarres sont de plus en plus violentes et parfois mortelles. Les agressions sont régulières. Les ziguehis sont considérés comme des bandits. L’opinion publique les affuble de tous les noms d’oiseaux. Or, tous ne sont pas des brigands. Parmi eux il y’a des étudiants, des élèves, des artistes chanteurs, des travailleurs.

Pour freiner les dérives, le Président de la République Felix Houphouët Boigny les reçoit. Il leur tient un discours de père. Avec bienveillance, il leur demande de quitter les chemins de traverse et de prendre la voie vertueuse du travail et du respect des règles de l’Etat. Ce discours paternel a un accueil favorable. Les ziguehis décident de redorer leur blason. En contrepartie du retour à la sagesse, Houphouët consent à leur verser un pécule toutes les fins du mois. Le concept de VS (Vagabonds salariés) voit le jour.

 En 1993, Felix Houphouët Boigny meurt, la dévaluation du franc et la mauvaise conjoncture économique du pays ne permet plus d’assurer la pension des ziguehis. Ces derniers se marginalisent à nouveau et leur réputation de voyous refait surface.

Fin décembre 1999, la Côte d’Ivoire connaîtra le premier coup d’État de son histoire. La junte militaire au pouvoir fait une purge dans le milieu des ziguehis. John Pololo, figure emblématique du mouvement ziguehi sera abattu, Santana également et bien d’autres. C’en est fini du mouvement ziguehi. Plusieurs d’entre eux s’exileront en Europe. Ceux qui restent au pays rasent les murs et font profil bas. Il n’est plus bon de porter l’étiquette de ziguehis. La Côte d’Ivoire connaît une nouvelle ère.

Les nombreux soubresauts militaro-politiques ne faciliteront pas l’expression du mouvement. Les ziguehis se terrent et se taisent. Beaucoup se fondent dans la nature, et les autres vaquent discrètement à leurs occupations professionnelles. Ils connaîtront des fortunes diverses.

Si de nombreux ziguehis ont réussi dans les affaires, et même dans l’administration publique et privée, d’autres par contre tirent le diable par la queue. Par souci d’entraide, depuis quelques petites années, les ziguehis devenus quadragénaires, quinquagénaire ou sexagénaires ont décidé de redonner un nouveau souffle à leur mouvement. Il n’est plus question de bagarres mais de prôner les valeurs d’amitié franche, de solidarité mais aussi d’aides et conseils aux jeunes de la rue. Par des actions citoyennes, les ziguehis entendent, donner une image loin des clichés et idées reçues véhiculés par la presse et la rumeur.  L’élection du président des ziguehis a récemment suscité des remous au sein du mouvement. Au point où, il y’a aujourd’hui deux clans, deux tendances qui peinent à harmoniser leurs divergences.

 Il y’a d’un côté les soutiens de Grand Vegas, figure totémique du mouvement, et d’un autre, les adeptes d’Apollos, karatéka de renom.

Si pour l’heure chaque camp revendique la présidence, aucun d’eux n’est encore parvenu à fédérer l’ensemble des ziguehis. Une situation déplorable qui plombe le nouveau souffle dont a besoin le mouvement ziguehi.

Faut-il le rappeler ? Dans les rangs de ses ex jeunes un peu turbulents que l’on a souvent cloués au pilori, on compte des médecins, des avocats, des militaires, des policiers, des enseignants, des chefs d’entreprise, des agents de sécurité etc.

Des exemples qui devraient inspirer les jeunes d’aujourd’hui. [/emaillocker]

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